L'homme qui a ramené le Tricolore à la rentabilité durant les années 2000 a commencé lundi son nouvel emploi comme
président et chef de la direction de Claridge, la société d'investissement de Stephen Bronfman qui gère des actifs
de plusieurs centaines de millions de dollars. «Nous allons quand même parler de Coupe Stanley au bureau. Tout le
monde parle de Coupe Stanley à Montréal. Les gens ont hâte», dit Pierre Boivin, qui a laissé son poste de
président du Canadien au copropriétaire Geoff Molson en juin dernier.
Autre nouveauté pour Pierre Boivin: des longues vacances estivales, dont il a profité pour voyager en Europe,
pêcher, jouer au golf et faire du jardinage - l'une de ses grandes passions - à sa maison de campagne à Knowlton,
en Estrie. «On n'a pas acheté un légume de l'été, dit-il. On va presque ouvrir un kiosque au marché Atwater!»
De son jardin, le nouvel homme de confiance de Stephen Bronfman a suivi de près le mélodrame du plafond de la
dette américaine et les soubresauts qui ont suivi en Bourse. Pas le choix: Claridge possède une partie importante
de ses actifs en Bourse et dans des fonds d'actions gérés par d'autres firmes privées. «Ce sont quand même des
moments inquiétants, dit Pierre Boivin. Pour nous, ce n'est pas problématique car ça fait partie de nos
responsabilités de bien équilibrer le portefeuille. L'important, c'est d'être patient, ce qu'on peut être, et de
prendre des bonnes décisions pour redéployer le capital.»
Un gestionnaire patient
La crise boursière estivale pourrait convaincre des investisseurs institutionnels de se tourner vers les firmes
d'investissement privé comme Claridge. «Ce sont des cycles, dit le gestionnaire de 57 ans. Ce n'est pas impossible
qu'il y ait plus de fonds engagés dans l'équité privée parce que les marchés boursiers sont plus difficiles à
prévoir. Les investisseurs individuels ne sont pas revenus de la crise de 2008. Il reste une crainte. Jumelez à ça
un vieillissement de la population qui fait en sorte que plus de gens doivent être très prudents avec leur
portefeuille...»
L'ancien président de Bauer Nike Hockey et du Tricolore se donne l'automne pour réviser la stratégie
d'investissement à long terme de Claridge, qui possède surtout des actifs dans l'alimentation, l'immobilier et le
divertissement. Claridge n'a pas d'intérêts dans le sport professionnel, même si Stephen Bronfman a déjà été
propriétaire minoritaire des Expos et a déposé une offre d'achat infructueuse pour le Canadien en 2009. «Ce n'est
définitivement pas dans nos plans. Cela dit, on ne sait jamais quand une opportunité se présente», indique Pierre
Boivin, qui a refusé des offres de plusieurs équipes de la LNH avant d'accepter celle de Claridge.
Pierre Boivin se promet d'être un financier patient, une qualité plutôt rare dans un milieu dominé par des firmes
comme Kohlberg Kravis Roberts&Co (KKR) qui ont cultivé leur réputation de requins de la haute finance. «Le modèle
typique de l'équité privée, ce sont des fonds avec des horizons de rendement très courts, admet-il. On investit
entre un et trois ans et on rentabilise son capital en sept ans, parfois moins. C'est quelque chose qu'on fait et
qui va toujours exister, mais on veut aussi proposer un modèle de capital plus patient. Ce n'est pas vrai que
toutes les entreprises développent leur plein potentiel entre trois et cinq ans.»
«L'avenir est aux fonds qui sont capables d'amener non seulement les capitaux mais la vision, le mentorat, la
discipline pour créer de la valeur opérationnelle, pas seulement de la valeur par réingénierie de bilan, continue
Pierre Boivin. Évidemment, rien n'empêche de faire les deux. Mais si tu t'arrêtes seulement à la réingénierie, tu
n'auras créé que le tiers de la valeur de l'entreprise.»
Nouveaux partenariats
Claridge, qui possède actuellement des intérêts dans une douzaine d'entreprises, veut développer davantage de
partenariats, en particulier au Canada et au Québec. «Le vieillissement de la population mènera à plus de ventes
d'entreprises, dit Pierre Boivin. Il y aura un manque de repreneurs et de capitaux. Chez Claridge, nous avons les
deux. Nous cherchons des entreprises qui ont besoin de capitaux et d'expérience pour se développer à
l'international. Nous voulons permettre aux entrepreneurs québécois de faire une sortie qui leur permettra de
continuer d'être fiers en allant à l'église le dimanche et en rencontrant leurs employés à l'épicerie.»
À son arrivée officielle lundi dernier, Pierre Boivin avait déjà trois nouvelles propositions d'investissements
sur son bureau. «Le téléphone a déjà commencé à sonner durant l'été», dit-il. Durant ses vacances, Claridge a
vendu la marque québécoise de mets sans gluten Glutino à l'entreprise américaine Smart Balance pour 66 millions
US.
S'il siège toujours au conseil d'administration du Groupe CH et reste président de la Fondation des Canadiens pour
l'enfance, Pierre Boivin sait qu'il devra s'adapter à sa nouvelle vie professionnelle sans le Tricolore. «Chez
Claridge, j'ai 35 employés, tous des «bolles», dit-il. Au Centre Bell, j'avais une fonction très opérationnelle,
je devais veiller sur 300 employés, 1000 les soirs de match.»
Prudent, le nouvel homme de confiance de Stephen Bronfman ne veut pas brûler les étapes. «Je suis un nouveau
joueur chez Claridge, mais il y a déjà une première ligne, une deuxième ligne et une troisième ligne qui peuvent
mettre la rondelle dans le top corner!»
Tricolore un jour, Tricolore toujours.
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Claridge en bref
Fondée en 1987, Claridge est la société d'investissement de la famille de Stephen Bronfman. L'actif sous gestion
est évalué à plusieurs centaines de millions de dollars.
Claridge possède une douzaine d'entreprises privées, surtout dans les secteurs de l'alimentation (Plats du Chef,
SunOpta), l'immobilier (les Bassins du Havre, le Séville) et le divertissement (comédie musicale Spider-Man: Turn
Off the Dark à Broadway).
Claridge a des investissements en Bourse et dans des fonds privés notamment par le biais de KKR et Silver Lake
(elle a vendu ses parts dans Skype à Microsoft par le biais de Silver Lake).
Claridge a investi dans l'entreprise Better Place, qui fabrique des infrastructures pour les voitures électriques
notamment en Israël
Claridge a déjà coproduit des tournées de U2 et des Rolling Stones et a fait une offre infructueuse pour acheter
le Canadien de Montréal en 2009.
Par Vincent Brousseau-Pouliot
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